lundi 25 mars 2013

Compte rendu du colloque monnaies complémentaires à Beaumont d'Auvergne du 23 mars 2013.








Par Noura Mebtouche, économiste.

Nous venons y présenter le Projet Canut et évoquer les logiques de territoire que nous avons choisi de mettre en valeur.

C'est d'abord une occasion de découvrir l'Auvergne et ce qui s'y fait en matière d'économie sociale et solidaire.
Dans le groupe de travail auquel nous participons, portant sur le territoire, beaucoup font partie du SEL d' Issoire. 
Des échanges non marchands en biens et services qui améliorent la qualité de vie. Ainsi, le gratuit et la question de l'échange de temps, considéré comme une monnaie comme une autre y sont-ils plébiscités.
La principale difficulté réside dans la configuration démographique et géographique du territoire. Les villes et villages sont disséminés. Le problème se pose notamment lorsqu'il est question de créer une monnaie complémentaire.
 En effet, parti d'une commune centrale, le projet de monnaie s'est vite étendu aux villages environnant, afin que la boucle : consommateur-prestataire-fournisseur 1-fournisseur 2-fournisseur 3- consommateur puisse se faire. C'est ce que l'on appelle "recentrer les circuits économiques".
Dans ce cadre, la monnaie complémentaire prend toute sa dimension.
 Elle consiste à créer un circuit en dehors du circuit classique dominé par l'Euro. 
C'est aussi un moyen de créer du lien social, et des relations humaines dans un bassin minier sinistré, en perte d'emplois. 
Ce n'est pas l'avis de tout le monde cependant. D'après une intervenante, il y a un espoir certain de mondialisation culturelle passant par l'Auvergne. 
En effet, originaire de Thiers, cette dernière souligne le rôle important que joue la ville dans le dynamisme du territoire. Thiers est une ville monde, tout passe par elle, c'est une commune précurseur, avec une forte industrie au Moyen-âge, le tout premier tribunal de commerce et une communauté ouverte et cosmopolite avec des turcs, des maghrébins , des portugais, ainsi que les premiers habitants de la région.
Donc, il y a dans cette région du centre de la France un potentiel positif important en matière d'ouverture, de promotion au niveau du monde, de lien avec l'extérieur.
Enfin, on soulignera l'importance qui est donnée sur une territoire que l'on peut définir en fonction de l'existence du département : le Puy de Dôme, qui a une identité forte, de nombreuses associations visant à faire un lien entre rural et urbain. 
C'est au sein de ce cadre associatif, que se développent les associations du type SEL ou monnaies complémentaires bien comprises dans le département comme faisant partie d'un processus global vient à améliorer la qualité de vie, ainsi que les objectifs de mixité sociale et de lien social ainsi que de promotion  du Pays.
On remarquera que en Auvergne, les identités correspondent très bien, bien que non complètement parallèles (d'autres identités plus transversales se recoupent) par rapport au département, ce qui n'est pas le cas sur tout le territoire français.
 Ainsi des discussions autour du nom de la future monnaie. 
C'est le chou qui l'emporte ce jour là (d'autres séance de vote sont prévues), trois autres dénominations ressortent du lot.
 Le Bougnat : très peu de gens ont voté pour cette appellation. 
Pourtant comme l'ont souligné certains, celui ci est représentatif d'un phénomène qui a marqué la culture du pays. Le départ, dans les années d'après-guerre, de nombreux Auvergnats à Paris. Comme le dit une participante (ancienne) très émue : "Ils sont partis gagner de l'argent dans la capitale alors que chez nous nous avions faim". En effet, beaucoup d'établissements de restauration parisiens sont tenus par des auvergnats qui ont ainsi exporté leur culture. Certains font remarquer que cette culture là n'est pas propre à toute l'Auvergne mais seulement à deux départements : le Cantal et le Puy de Dôme.
Toujours est-il que les suffrages vont peu à cette appellation ce qui peut être paradoxal car représentatif d'un phénomène et d'une dénomination (le Bougnat) très caractéristique du territoire même si un peu imagerie d'Epinal. 
On pourrait expliquer cette relative désaffection par une volonté d'oublier un passé difficile, de rebondir sur quelque chose de plus glorieux, plus moderne.Il en découle naturellement l'appellation suivante :
Le Volcasol. Cette dénomination correspond, dans la lignée du projet Vulcania à une volonté de moderniser la région, de mettre en valeur une donnée géologique appuyée par la mise en valeur scientifique. Par Volcasol, les habitants semblent pointer du doigt une spécificité de leur pays qui leur constitue un apport conséquent en richesse économique : la venue de nombreux touristes. Ainsi, les volcans apportent le soleil, la proscrite, le bonheur, l'échange.
Le Dôme. On ne reviendra pas sur la fierté des auvergnats quant à la mise en valeur du relief géologique de leur territoire notamment par l'existence du fameux Puy de Dôme. Tout comme on monte au sommet du Fuji Yama à pied pour être japonais, il convient d'escalader le Puy de Dôme pour être véritablement auvergnat.
 Encore une fois, ce dernier est bien représentatif du département du Puy de Dôme auxquels beaucoup se réfèrent, d'autres préférant la région Auvergne comme point de ralliement de mise en valeur patrimoniale.
Le Chou. Une dénomination qui a fait l'essentiel des suffrages. Image d'Epinal lui aussi, le chou est le légume avec lequel on fait la potée auvergnate, aliment représentatif de la région Auvergne, celui d' où naissent les bébés de sexe masculin, il y a aussi cette légendaire expression "un chou est un chou" qui fonde la réputation, fondée ou pas , de l'auvergnat avaricieux.
Toujours est il que cette appellation là fait mouche parmi les personnes présentes ce samedi 23 mars 2013, peut être parce qu'elle est la plus neutre finalement.


Ce que nous avons retenu de cette journée dans le cadre de la mise en place du Canut.

-Les logiques de territoire sont complémentaires, elles ne s'affrontent pas. 
Ainsi nous avons défendu notre conception d'une monnaie de petit territoire. Les Pentes de la Croix Rousse marquées par un patrimoine fort avec par exemple la Révolte des Canuts mais aussi un savoir faire et des spécialités (textile, ver à soie) qui lui sont propres. Cela nous amène jusqu'en Chine, où l'on découvre la soie.
Après avoir discuté des projets Sol (le sol violette de Toulouse étant ici encore bien mis en valeur), des craintes qu'il est légitime de développer quant à la perpétuation d'un système descendant dans le cadre des ces projets très bien financés par les Régions ou l'Etat, nous nous sommes rendus compte cependant que sur un territoire élargi, les projets monnaies complémentaires ont un rôle positif quant à la construction de notre économie moderne lorsqu'ils sont portés par de collectifs de citoyens uniquement et donc ascendant. 
Ainsi, de la Roue, en Provence, dont un représentant était présent qui a lancé ses premiers billets avec moins de 300 Euros. Comme le dit son interlocuteur , la Roue est la monnaie "qui tourne, qui roule, qui n'amasse pas mousse". 
Par ailleurs, il va de soi qu'en Auvergne où la principale préoccupation est de faire du développement local en milieu rural et de favoriser les liens villes campagnes, le territoire sur lequel se pratique une monnaie locale ne peut qu'être étendu.
Reste à définir, dans ce cadre, en excluant pour notre part, les projets de monnaie complémentaire descendants, à définir une typologie des types de monnaie en fonction de leurs logiques et de l'extension de leur territoire.
Ainsi , la monnaie Canut s'inscrirait dans un processus global qui touche la ville de Lyon et sa périphérie ou une partie de cette dernière coexistant avec d'autres types de monnaie plus proches des "petits territoire" ne suivant pas leurs découpages institutionnels mais leur histoire et leur patrimoine. C'est aussi un peu ce qui se passe à Montreuil.
Celle-ci, première du genre à Lyon, a pour objectif principal non pas de développer un circuit en dehors de celui qui est propre à l'Euro puisqu'elle ne peut pas faire bénéficier aux fournisseurs qui sont éloignés de la possibilité de régler eux aussi leurs achats en Canut, sauf pour quelques exceptions. 
Elle contribue néanmoins, et c'est sa vocation première à créer du lien social dans un quartier à forte identité, et constitue le point d'attache et de synthèse d'un projet visant à mettre en valeur l'échange économique local mais aussi les pratiques sociales et les expérimentations solidaires d'un quartier et peut être un jour, les modes de production (après tout ne sommes nous pas à l'endroit où est née la première coopérative ouvrière).

La question du stock de monnaie européenne (en Euros) crée par l'achat de devises locales à l'association porteuse du projet se pose. la question du réinvestissement du capital de monnaie non locale pour des projets locaux est une question cruciale qui se pose sur le territoire.

La question de la création monétaire est importante aussi. Pour nous, toute forme de création monétaire autre que européenne aujourd'hui, nationale, si nous revenons un jour à une monnaie nationale (qui nous le souhaitons ne serait pas le franc) n'est pas acceptable, même à toute petite échelle car elle remet en cause le pouvoir de la banque centrale qui seule, devrait être habilitée en tant qu'institution à créer de la monnaie sur un territoire qu'il soit européen ou national. Cette question se pose déjà dans le contexte actuel où on accuse les banques privées d'être créatrices de monnaie, le pouvoir d'émettre de la monnaie de faire fonctionner la planche à billet n'est plus institutionnel. 
C'est dangereux. C'est ce qui explique la dichotomie entre sphère monétaire et économie réelle. 
Il serait dommage que par le biais d'une tentative désespérée de reprendre en main leur économie les citoyens soient à l'origine du même type de dichotomie.
L'enjeu finalement de toute politique monétaire doit bien être de faire correspondre la valeur de la monnaie et son émission à la quantité mais aussi (en nouvelle économie) à la qualité des biens et services produits et présentés sur le marché. Nous en sommes à ce point là de l'élocution du fonctionnement de notre économie. La réponse est : seul l'Etat peut jouer ce rôle.
Ce qui n'empêche pas par ailleurs que se développent des monnaies locales un peu partout qui correspondent à des logiques de territoire, différents les uns des autres à condition qu'elles se content d'être des instruments d'échange.
 Or. Il y a création monétaire à partir du moment où, les associations porteuses stockent leurs Euros sur des comptes rémunérés. seule solution qui doit pour éviter l'écueil déjà cité : réinvestir effectivement sur le territoire ou stocker chez des organismes financiers qui ne rémunèrent pas la monnaie, comme la NEF qui n'a pas un statut bancaire. (Certains parlent aussi du Crédit municipal ou encore évoquent la création d'une banque coopérative comme en Allemagne).
Enfin, malgré les tensions que cela peut procurer, on peut évoquer la solution consistant à obliger la monnaie à être fondante, à des taux proches du taux rénumérateur des banques ou encore peut-on compter sur l'émergence d'une législation qui serait propre aux monnaies complémentaires obligeant ces dernières, quoiqu'il en soit, à fondre à la même vitesse que l'Euro (ou tout autre monnaie émise et réglementée par une Banque centrale). 
Ce qui serait dommage, car préjudiciable au caractère proprement citoyen, situé en dehors de la réglementation étatique des initiatives ascendantes en économie locale. C'est néanmoins la solution ultime en cas de dérapage pour un bon équilibre macro-économique.
Enfin avons nous pointé notre avis à propos des solutions préconisées par PH Derruder dans "pour une nouvelle monnaie complémentaire" aux éditions Yves Michel avec notre idée de revenir effectivement de manière provisoire à une monnaie nationale, afin que la nouvelle Europe avec sa monnaie à elle se fasse avec les citoyens mais sans que l'on encourage la coexistence de deux systèmes différents, ce qui est l'idée de PH Derruder et de André-Jacques Holbeck : un système national correspondant à des échanges fondés sur de critères éthiques spécifiques propres à la nouvelle économie et un autre propre à l'ancien système gouverné par l'Euro. C'est bien l'abandon provisoire de l'Euro que nous préconisons.
Par ailleurs, dans le cadre de nos travaux, chez Respublica, en droit constitutionnel et notamment sur la construction d'une Europe des Peuples, citoyenne et historique, avons nous commencé à entrevoir l'idée possible de monnaies de pays qui viendraient recouper dans une logique transversale les monnaies complémentaires locale, de territoires de toutes tailles crées dans le cadre national. On le sait , les projets monnaies complémentaires drainent derrière eux un ensemble de pratiques expérimentales , d'échanges en temps, en savoir, en biens et services, sociales, culturelles, patrimoniales, économiques. 
Ainsi, grâce à des initiatives interfrontalières, viendrait commencer à se greffer un réseau de plus en plus conséquent au sein de territoire porteurs de la même culture n'ayant pas la même nationalité. Bien mieux que le projet de décentralisation qui touche aujourd'hui l'Alsace, de quoi bien ferrer le poisson au lieu de mettre en place des mesures superficielles et rapides. Le hic, quant on pense que l'Union européenne d'aujourd'hui s'est construite principalement sur des critères économiques. L'Europe des peuples se fonderait dès lors, sans se presser, très lentement elle aussi, sur des facteurs socio-économiques, une bonne nouvelle si l'on considère que cette économie là se fonde sur des initiatives citoyennes donc ascendantes.
Enfin, nous n'avons pas manqué de noter l'existences d'autres pratiques similaires, toutes originales comme notre projet Canut, en dehors du territoire français : les Accorderies du Quebec, le Time Dollar (Réseau Time Banks, Madison, Wisconsin, USA par Stéphanie Rearick, , le CETA (convergences et alternatives) à Roanne, (ceta@laposte.net) et d'autres initiatives un peu partout dans le monde notamment au Japon. On ne manquera pas de souligner la quasi absence de ce type d'initiative sur le continent africain, question qui sera certainement ouverte davantage lors du Forum Social Mondial qui se tient ce début avril 2013 à Tunis.

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